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Les données hébergées sur le cloud sont-elles vraiment privées ?

8 octobre 2025 par
Rodriguez Daniel

Introduction

Avec l’essor du cloud computing, de nombreuses entreprises, collectivités et individus confient leurs données sensibles à des prestataires « dans le nuage ». L’argument clé est celui de la sécurité, de la disponibilité et de l’évolutivité. Mais derrière cette promesse technologique plane une question cruciale : les données restent-elles réellement privées et sous le contrôle de leurs propriétaires ? Plusieurs révélations récentes montrent que la réponse est plus complexe qu’on ne le croit.

Le cas Microsoft : un aveu sous serment

Un article publié par Retarus relate qu’Anton Carniaux, directeur des affaires publiques et juridiques de Microsoft France, a admis lors d’une audition au Sénat français que Microsoft ne peut garantir la souveraineté des données européennes. Retarus

Cette admission a des implications fortes : même si les données semblent physiquement hébergées en Europe, Microsoft ne peut empêcher les autorités américaines (via des lois comme le CLOUD Act ou le Patriot Act) de demander leur accès, selon les conditions légales applicables aux entreprises américaines. Retarus+1

Autrement dit, pour les services “cloud” gérés par Microsoft (Office 365, Exchange, SharePoint, etc.), il existerait une incertitude juridique quant à leur protection face aux autorités étrangères. Retarus

Pourquoi cette incertitude ? (mécanismes légaux et techniques)

Pour comprendre les risques, il faut regarder les lois, les architectures techniques et les clauses contractuelles :

1. Les lois extraterritoriales (CLOUD Act, Patriot Act…)

  • Le CLOUD Act américain permet aux autorités américaines d’exiger à des fournisseurs de services cloud américains de remettre des données, même si celles-ci sont stockées hors des États-Unis.
  • Le Patriot Act autorise des interventions ou des demandes d’accès “à des fins de sécurité nationale” dans certains cas.
  • Même si un fournisseur assure que ses serveurs sont “en Europe”, cela ne suffit pas si le siège ou la juridiction légale du fournisseur se trouve aux États-Unis ou dans un pays ayant des législations similaires.

2. Architectures techniques ou cloisonnements insuffisants

  • Parfois, les données “européennes” peuvent être redondées ou sauvegardées dans d’autres régions (backup, réplication) pour des raisons de résilience ou de performance.
  • Les accès administratifs ou les processus internes peuvent nécessiter des routes techniques qui passent par des infrastructures hors d’Europe.

3. Clauses contractuelles et responsabilité

  • Les contrats de service (SLA, accords de traitement des données) peuvent contenir des restrictions, mais souvent, le fournisseur impose des “clauses de non-responsabilité” ou des “exceptions légales” qui limitent sa responsabilité dans certains cas, notamment en cas d’ordre gouvernemental.

Ce que “privé” signifie réellement — et ce qu’il ne garantit pas

Quand on dit que les données sont “privées dans le cloud”, cela suppose :

  1. Confidentialité — que seules les entités autorisées peuvent les lire ou y accéder.
  2. Intégrité — que les données ne sont pas modifiées de façon non autorisée.
  3. Disponibilité — que l’accès est maintenu quand on en a besoin.
  4. Contrôle juridique — que le propriétaire des données garde la main sur leur usage et leur destination.

Mais “privé” ne garantit pas en soi :

  • l’immunité face à des demandes d’accès légales imposées par un État souverain ;
  • l’impossibilité technique de transfert ou de duplication en dehors d’un territoire donné dans certains scénarios de sauvegarde ou de basculement ;
  • l’absence totale de fuite ou d’intrusion (cela dépend aussi des mesures de sécurité du fournisseur, des audits, de la conception logicielle, etc.).

Exemples concrets de risques

  • Une entreprise française stockant ses données sur Azure Europe pourrait voir ses données demandées par les autorités américaines si Microsoft est soumis à une injonction dans le cadre du CLOUD Act.
  • Un fournisseur cloud non-européen peut, pour des raisons de performance ou de résilience, répliquer des données dans des centres hors d’Europe, exposant ainsi les données à des juridictions étrangères.
  • Des failles de sécurité ou des compromissions internes pourraient donner accès à des personnes non autorisées, malgré des garanties de “cloud privé” ou “cloud dédié”.

Vers des solutions plus souveraines

Afin de limiter ces risques, plusieurs approches sont possibles :

  1. Favoriser les fournisseurs européens ou “souverains”
    Choisir une entreprise basée dans l’UE, avec des centres de données situés en Europe et des garanties contractuelles fortes.
  2. Utiliser le chiffrement “end-to-end” et le chiffrement côté client
    Si les données sont chiffrées de bout en bout (et le fournisseur ne détient pas les clés), même s’il y a une demande d’accès, les données restent incompréhensibles.
  3. Hybride / Cloud privé / infrastructures locales
    Certaines données sensibles peuvent rester sur des serveurs internes, d’autres en cloud public. Une architecture hybride permet de limiter la “zone de risque”.
  4. Clauses contractuelles strictes, audits et transparence
    Exiger des audits indépendants, des transparences sur les flux, la réplication, les accès internes, ainsi que des clauses contractuelles solides sur les données.
  5. Réglementations et politiques publiques fortes
    L’UE pourrait imposer des normes contraignantes de “souveraineté numérique” ou de “résidence des données” pour les services cloud opérant en Europe.

Conclusion

Les données hébergées sur le cloud ne sont pas automatiquement “privées” dans tous les sens du terme. Le cloud offre des avantages techniques indéniables, mais il accompagne des risques juridiques et architecturaux, notamment lorsqu’il s’agit de fournisseurs soumis à des législations extraterritoriales.

Pour les organisations soucieuses de protéger des données sensibles, la prudence impose de bien scruter les conditions légales, la localisation des centres de données, les mécanismes de chiffrement et de contrôle, et d’envisager des alternatives ou des solutions hybrides. En somme : la confiance doit s’accompagner d’un examen rigoureux, pas d’un aveuglement.